Six principes d‘influence en UX design

Julien Laureau
8 min readOct 29, 2019

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Il serait hypocrite de ne pas le reconnaître : designers UX et UI, nous sommes tous des professionnels de la persuasion. Que l’on travaille pour un géant du e-commerce ou pour la plus altruiste des ONG, à la fin des fins, le but du jeu est toujours le même, amener l’utilisateur à faire ce que l’on attend de lui : s’inscrire, souscrire, acheter, s’abonner, jouer…

On peut persuader quelqu’un sans être coercitif, sans le tromper et en lui présentant les choses de façon transparente. On peut en somme convaincre sans manipuler. Des gens à peu près honnêtes font ça tous les jours : parents, enseignants, activistes, avocats etc. La persuasion n’est absolument pas néfaste en soi.

Il existe différents moyens de peser sur les décisions des gens. J’évoquerai dans cet article les six principes d’influence décrits par le psychologue américain Robert B. Cialdini dans son livre « Influence. The Psychology of Persuasion ». Ces principes sont couramment utilisés pour fluidifier et renforcer l’expérience utilisateur des systèmes. Les connaître offre le double avantage de pouvoir les mettre en pratique et de savoir les identifier pour y être un peu moins sensible.

1. Le principe de réciprocité

Ce que l’on reçoit nous engage. Un don, un service ou une faveur reçus sont aussi des dettes que l’on contracte envers notre bienfaiteur. Si un ami vous aide à déménager, il est malvenu de lui refuser un coup de main le jour où il a besoin de porter quelques cartons.

“Tu m’en dois une ! ” Le principe de réciprocité par Francis Ford Coppola.

De même lorsque les gens donnent quelque chose, ils s’attendent en général à recevoir une compensation en retour. C’est la raison pour laquelle la première personne à offrir une tournée de bières quitte rarement le bar avant d’avoir pu boire les suivantes.

Les écrans liminaires de l’application Duolingo sont un bon exemple de l’exploitation de ce biais à des fins persuasives. Lorsqu’un utilisateur télécharge l’application pour la première fois, il n’est pas immédiatement dirigé vers le parcours d’inscription, mais bénéficie de quelques minutes pour en découvrir les principales fonctionnalités. Au bout d’un laps de temps raisonnable, un message s’affiche pour l’inviter à s’inscrire afin de poursuivre son apprentissage. Si l’utilisateur a passé un bon moment et qu’il a le sentiment d’avoir progressé, il y a des chances pour qu’il soit assez enclin à le faire à ce moment-là.

La générosité de cette petite chouette n‘est pas complètement désintéressée…

Le principe de réciprocité est utilisé ici pour faciliter le passage à l’action. La plupart du temps, les gens sont contraints de s’inscrire avant de pouvoir tester un service. Prendre le contre-pied est un moyen d’instiller un léger sentiment de redevabilité dans la tête des utilisateurs, puisque rappelez-vous, une faveur en appelle généralement une autre en retour. Ce n’est rien d’autre que la technique un peu éculée (et très efficace) de l’échantillon gratuit, utilisée notamment dans les animations commerciales en supermarché. Duolingo revendiquait 300 millions d’utilisateurs à travers le monde en 2018.

2. Le principe d’engagement

Nous avons tendance à être cohérents avec nos actes et décisions passés. Cette inclination est un raccourci cognitif, une béquille sur laquelle nous nous appuyons paresseusement pour ne pas avoir à réfléchir.

Ce lien entre nos agissements passés et notre comportement explique pourquoi l’on renoue parfois avec un(e) ex qui nous a fait souffrir, pourquoi dans les casinos les joueurs invétérés continuent de flamber alors qu’ils ont déjà perdu beaucoup d’argent et même pourquoi les Américains se sont enlisés au Vietnam dans les années 60–70.

Vous avez oublié quelque chose ? Google se souvient, lui.

Le principe d’engagement et les escalades qui en découlent peuvent être utilisés à des fins persuasives. Sur le Google Store par exemple, lorsqu’un utilisateur connecté abandonne son panier, il reçoit quelques heures plus tard un e-mail pour l’inciter à poursuivre son achat. L’idée est de lui rappeler son engagement initial dans le but d’influencer son comportement présent, en espérant qu’il ait oublié les raisons de son abandon dans l’intervalle.

3. Le principe de consensus : la preuve sociale

Lorsque les gens sont incertains, ils observent le comportement et les actions des autres pour déterminer le leur. Nous partons du principe que lorsqu’un grand nombre de personnes fait la même chose, c’est que c’est la bonne chose à faire. Nous avons par exemple tendance à considérer les restaurants très fréquentés comme de bonnes adresses. À l’inverse un établissement désert est plus susceptible d’éveiller nos soupçons.

Des services comme Google Reviews ou Trip Advisor reposent essentiellement sur le principe de consensus. Ils répertorient des avis qui nous aident à nous forger une opinion sur des lieux ou des commerces.

20 personnes s’intéressent à ce calendrier…

Le pouvoir d’influence de nos pairs peut également être exploité en e-commerce, comme le montre le site Etsy, place de marché spécialisée dans les articles fabriqués à la main. Sur les fiches produit, un petit message intelligemment positionné sous le bouton “ajouter au panier” informe l’utilisateur que d’autres acheteurs potentiels s’intéressent à l’article qu’il convoite. Cette information agit à deux niveaux. D’abord, elle conforte et valide le choix de l’utilisateur. Ensuite, elle crée un sentiment de rareté et d’urgence qui incite à passer rapidement à l’action. Nous aurons l’occasion d’en reparler plus loin dans cet article.

4. Le principe d’appréciation

Nous répondons plus facilement oui aux gens que nous connaissons et apprécions. C’est la raison pour laquelle les meilleurs vendeurs et commerciaux sont généralement passés maîtres dans l’art de se faire apprécier de leurs clients. Un sourire, une marque d’attention, une tape amicale dans le dos sont des armes d’influence à ne jamais sous-estimer.

Le principe d’appréciation est évidemment à l’oeuvre sur les réseaux sociaux. Sur Facebook et Instagram, les annonceurs se servent de nos amis et des gens que nous admirons pour nous persuader d’acheter leurs produits. On parle d’ailleurs d’influenceurs.

Tous mes amis utilisent Lydia ! Et Lydia utilise tous mes amis pour me convaincre d‘en faire autant.

Une mécanique similaire est utilisée par le service bancaire Lydia à des fins de réassurance. Dans le menu de l’application, un lien pointe vers un écran qui liste les amis de l’utilisateur ayant installé Lydia. Le but premier est de sécuriser l’utilisateur en lui montrant que des gens qu’il connaît et apprécie ont également téléchargé l’application. Dans le domaine bancaire, et plus particulièrement lorsque l’on est un acteur peu connu du grand public, gagner la confiance des gens est capital.

Le second objectif de cet écran est d’inciter les gens à utiliser Lydia plus souvent. En effet, les profils sont classés selon le nombre de transactions effectuées via l’application. Cette petite touche de gamification pousse à ouvrir l’application régulièrement pour progresser dans la hiérarchie.

5. Le principe d’autorité

Les gens ont tendance à suivre l’avis d’experts jugés crédibles et bien informés. Dès l’enfance nous avons été conditionnés à obéir à nos parents puis à nos professeurs. Parce que ces figures d’autorité en savaient plus que nous ou parce qu’elles contrôlaient nos récompenses et nos punitions, nous avons appris à nous conformer à leurs avis. Cette forme de soumission nous dispensait de penser. Nous réagissons bien plus que nous ne réfléchissions.

À l’âge adulte, la plupart d’entre nous sont encore vulnérables aux symboles d’autorité. Les critiques par exemple sont prescripteurs en matière culturelle, car ce sont des autorités intellectuelles que nous supposons mieux informées que nous. Un bon papier dans le bon journal peut avoir une influence déterminante sur le destin d’un film ou d’un livre. De même, un macaron Michelin assure en général un beau succès à un restaurant.

Plus gros les logos !

Tout ce qui revêt les habits de l’autorité pour une cible donnée est susceptible de la persuader. La frise de logos qui orne la page d’accueil du site web d’Invision est un bon exemple de mise en application de ce principe d’influence. Ces six grandes entreprises américaines ont été sélectionnées car elles font figure d’autorité pour les designers que convoite la firme New-Yorkaise : si Netflix et AirbnB utilisent Invision, c’est probablement que c’est un bon produit, non ?

6. Le principe de rareté

La rareté augmente l’intérêt et la demande pour un produit ou un service. Les collectionneurs de Pokémons, de timbres ou de dés à coudre savent bien que plus une pièce est rare, plus elle est précieuse. D’autre part, la rareté d’un bien n’a pas besoin d’être avérée pour qu’il attise notre désir. Des pénuries d’essence ont été créées par la simple annonce d’un hypothétique blocage de raffineries. En effet, en de telles situations, un grand nombre d’automobilistes se rend en même temps dans les stations-service pour faire le plein en prévision de l’épuisement des stocks, la crainte de la pénurie finissant par engendrer la pénurie…

Si vous n’êtes pas anxieux après avoir utilisé Booking pour chercher un hébergement, c’est qu’ils ont mal fait leur travail.

La plateforme de réservation d’hébergement Booking.com exploite le principe de rareté depuis des années pour inciter ses utilisateurs à passer à l’action. En effet, lorsque pour un lieu et une date donnés, les hébergements viennent à manquer, des messages alarmistes s’affichent en rouge parmi les résultats de recherche pour informer l’utilisateur de la raréfaction des options disponibles. Afin d’augmenter encore la pression, Booking fait également figurer les hébergements déjà épuisés. Le but de ce dispositif est de pousser l’utilisateur à réserver rapidement, par crainte de voir une opportunité lui passer sous le nez.

Ce dispositif est extrêmement efficace, mais il est difficile de savoir si les messages anxiogènes de Booking correspondent toujours à la réalité. Si c’est le cas, alors tout le monde y gagne : la plateforme évidemment, et les utilisateurs qui sont informés en temps réel de l’offre disponible. Dans le cas contraire…

Et l’éthique dans tout ça ?

Tout comme un architecte organise les mobilités dans un espace, un designer interactif orchestre les choix des utilisateurs au sein d’un système. Utilisés de façon responsable, les principes d’influence permettent de valoriser certains de ces choix, comme un architecte pourrait le faire en incitant par un agencement particulier, à préférer un escalier à un autre.

On peut aussi se servir des principes d’influence de façon moins éclairée, pour piéger les gens en leur dissimulant certaines informations utiles au moment de prendre leurs décisions, ou en forçant leurs actions. Les exemples ne manquent pas sur la toile.

De mon point de vue, un dispositif persuasif responsable doit respecter au moins deux principes :

  • Transparence : ne rien cacher, ne pas mentir ou travestir la réalité.
  • Choix ouvert : aménager une porte de sortie, ne jamais forcer une action.

“On ne persuade aux hommes que ce qu’ils veulent” disait un moraliste du XIXe siècle, évitons donc d’amener les gens à faire ce qu’ils ne souhaitent pas accomplir.

Références

Robert B. Cialdini, Influence, the psychology of persuasion.

B.J. Fogg, Persuasive Technology, using computers to change what we think and do.

Victor S. Yocco, Design for the mind, Seven psychological principles of persuasive design.

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