Leviers de motivation en product design

Julien Laureau
8 min readJul 16, 2024

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Chaque jour l’individu moyen est soumis à une infinité de sollicitations et des milliers d’entreprises se battent pour quelques secondes de son attention. Dans ce contexte, éveiller puis maintenir l’intérêt des utilisateurs pour un produit ou un service est extrêmement compliqué, et ça se corse davantage si l’on méconnaît les leviers qui permettent d’agir sur la motivation.

Évidemment, il n’existe pas de recette miracle qui permettrait de convaincre n’importe quel utilisateur de passer à l’action. La motivation est un processus complexe et aucune formule universelle ne fonctionne pour tout le monde. Néanmoins, avoir une compréhension basique des mécanismes comportementaux qui régissent nos engagements, permet d’éviter quelques erreurs. C’est également précieux pour affuter une stratégie d’acquisition, de conversion ou de rétention. Voici donc quelques éléments théoriques illustrés par des exemples concrets qui vous permettront, je l’espère, d’y voir un peu plus clair.

Qu’est-ce que la motivation ?

La motivation est la force qui nous met en mouvement et nous donne l’élan nécessaire pour accomplir des choses ou prendre des décisions. C’est un processus de délibération à l’œuvre dans les situations de choix concurrents. Pour le dire plus simplement, la question de la motivation se pose lorsqu’on a à la fois “envie” et “pas envie”.

On distingue deux grands types de motivations. La motivation “extrinsèque” qui résulte d’une pression externe et s’éteint dès lors que l’on supprime le contrôle, et la motivation “intrinsèque”, qui procède d’un élan spontané et souvent plus durable. Si le corpus scientifique sur ces mécanismes vous intéresse, je vous invite à lire les travaux d’Edward Deci ou les livres de Daniel Pink qui les résument très bien de façon plus accessible.

En tant que concepteur, on peut essayer d’agir sur ces deux familles de motivation. Nous allons en détailler quelques exemples, en commençant par les leviers de motivation extrinsèques.

Leviers de motivation extrinsèques

Jusqu’aux années 70, on pensait qu’il n’existait que deux façons de mettre les gens en mouvement : la récompense ou la punition. Cette approche de la carotte et du bâton est désormais considérée comme largement insuffisante, bien qu’elle puisse s’avérer efficace dans certains contextes : les enfants finissent plus volontiers leur assiette quand on leur fait miroiter un dessert et les automobilistes ont tendance à ralentir à l’approche d’un radar.

Contrairement à ce que l’on pense, les récompenses et les punitions ne sont pas des choses concrètes, mais des émotions. On peut très bien offrir un vélo à un enfant en guise de gratification et lui confisquer ensuite pour le punir. Oui c’est cruel… Dans ces deux exemples, le vélo ne constitue pas une récompense ou une punition, ce sont les émotions positives et négatives associées à ces événements qui jouent ce rôle. L’idée est donc de s’appuyer sur le spectre des émotions pour favoriser ou décourager certains comportements.

Renforcement positif

L’application de training sportif Freeletics encourage les utilisateurs à chaque étape de leur progression, pour les motiver à poursuivre leurs efforts. Ces renforcements positifs peuvent paraître anecdotiques, mais ils génèrent des émotions positives (aussi fugaces soient-elles) qui confortent le comportement attendu : continuer de s’entraîner et accessoirement ne pas désinstaller l’app.

Renforcement négatif

À l’inverse l’application Duolingo utilise le renforcement négatif pour nous décourager de quitter une session démarrée. Lorsqu’on interrompt une leçon, un message nous informe que nos progrès seront perdus si l’on décide d’abandonner. L’idée est ici de s’appuyer sur notre aversion à la perte pour nous en dissuader.

Ces deux exemples permettent de comprendre le principe des leviers de motivation extrinsèques. Comme je le disais plus haut, il faut garder à l’esprit que cette approche est insuffisante. D’abord parce que la motivation extrinsèque est généralement moins puissante et mobilisatrice que la motivation intrinsèque. Ensuite parce que les renforcements perdent en efficacité dans le temps. Une récompense trop fréquente cesse d’être ressentie comme telle pour apparaître comme un statu quo. De la même façon, un renforcement négatif trop souvent réitéré ne produit plus les mêmes effets. Les stratégies déployées par Freeletics et Duolingo sont surtout pertinentes pour maintenir l’engagement des utilisateurs dans la phase de découverte de l’app, qui peut conduire à la souscription d’un abonnement payant. Passé ce délai, ces messages s’avèrent au mieux inutiles, au pire répétitifs et lassants.

Si l’on cherche à motiver les gens de façon plus profonde et durable, il faut s’intéresser à la motivation intrinsèque.

Agir sur la motivation intrinsèque

Contrairement à la motivation extrinsèque qui induit une forme de contrôle, la motivation intrinsèque est autodéterminée. C’est un élan spontané qui conduit à faire des choses uniquement pour le plaisir ou l’intérêt que l’on y trouve et sans chercher d’autre récompense que la satisfaction personnelle. Un enfant qui dessine pendant des heures sans qu’on lui ait demandé de le faire, ou un adulte qui choisit de donner son sang sans attendre une quelconque compensation, sont mû par cette forme particulière de motivation.

Le chercheur Edward Deci, que j’ai déjà cité plus haut, a élaboré avec son confrère Richard Ryan une théorie de l’autodétermination dans laquelle il identifie trois besoins psychologiques innés qui nourrissent la motivation intrinsèque : l’autonomie, la maîtrise et la quête de sens. Il existe d’autres facteurs de motivation d’ordre physiologiques, sécuritaires ou affectifs, mais ils sont moins pertinents dans le domaine qui nous intéresse. Si vous souhaitez en savoir plus à leur sujet, reportez-vous aux livres de BJ. Fogg. Voyons maintenant comment certains produits ou services populaires s’appuient sur le désir d’autonomie, de maîtrise et la quête de sens pour impliquer leurs utilisateurs.

Autonomie

Il suffit d’observer un enfant grandir et s’affirmer pour se rendre compte que nous avons dès le plus jeune âge un désir inné d’autonomie et de contrôle. Ce sentiment très fort durant l’enfance nous accompagne toute la vie : nous sommes naturellement plus enclins à nous épanouir dans les environnements favorisant l’autonomie.

Les concepteurs de l’app Medium (sur laquelle vous lisez peut-être cet article) ont choisi de s’appuyer sur cet élan. La première tâche proposée lorsque l’on crée un compte sur la plateforme est justement de prendre le contrôle en customisant notre expérience. L’application demande d’abord de sélectionner des sujets auxquels on s’intéresse, puis elle suggère de suivre des auteurs écrivant sur ces thématiques. Bien que le système propose des options et supervise l’opération, les utilisateurs restent libres de leurs choix et se sentent donc relativement autonomes. Ce sentiment couplé à la certitude d’avoir accès à une expérience sur-mesure est propre à favoriser une ouverture plus fréquente de l’app durant les premiers jours.

Maîtrise

Il y a des interfaces que l’on utilise plus régulièrement que d’autres. C’est le cas par exemple des logiciels professionnels. Lorsqu’ils sont mal conçus, l’expérience confine au supplice (coucou Jira), mais à l’inverse quand ils sont parfaitement adaptés aux besoins des utilisateurs, on peut ressentir un véritable plaisir à s’en servir et les maîtriser. Ces expériences positives peuvent même parfois être qualifiées d’autotéliques : activités qui se caractérisent par un profond sentiment de maîtrise, de joie et d’enrichissement.

Un outil comme Figma peut être le cadre de ce type d’expériences. Certains aspects du logiciel sont d’ailleurs pensés pour renforcer le sentiment de maîtrise chez l’utilisateur. C’est le cas de la fonctionnalité “keyboard shortcuts”, accessible depuis le menu “Help”. Elle donne une vue d’ensemble sur les raccourcis claviers disponibles. Jusque-là, rien de très nouveau. Mais en regardant de plus près, on constate que les raccourcis clavier connus de l’utilisateur sont mis en surbrillance, alors que ceux qu’il n’a encore jamais employés sont légèrement grisés. Cette petite différence permet à chacun de mesurer sa maîtrise du logiciel et d’assimiler de façon ludique de nouveaux raccourcis, avec le plaisir de la découverte pour seule motivation. Les concepteurs de Figma ont compris que le désir d’être toujours meilleur et plus efficace est un formidable levier d’implication, amis aussi de rétention, puisqu’il est coûteux de quitter un outil qu’on maîtrise sur le bout des doigts.

Sens

Le dernier facteur de motivation intrinsèque est celui qui nous permet de mettre nos désirs au service d’une cause qui nous dépasse : le sens. Comme le dit avec un peu de lyrisme le conférencier Simon Sinek : “Dans le business, ce que vous faites importe peu, ce qui compte, c’est pourquoi vous le faites”.

Une entreprise pour laquelle j’ai travaillé fait parfaitement écho à cela. Il s’agit de la plateforme e-commerce Back Market. Son credo : lutter contre le gâchis électronique en promouvant une consommation plus responsable au travers du reconditionné. À l’heure où l’on peut difficilement ignorer l’impact environnemental des e-déchets, c’est une cause qui parle à un nombre grandissant de personnes, et qui est de nature à les motiver à préférer la plateforme française et ses appareils reconditionnés, aux mastodontes américains et leurs produits neufs.

Cette cause étant un puissant ressort de motivation, un discours pédagogique sur l’impact des produits électroniques neufs est distillé tout au long du parcours d’achat, et notamment sur la page produit. Ces messages aident les indécis à sortir de l’ambiguïté en leur donnant une bonne raison d’effectuer leur achat chez Back Market.

Pour conclure

Vous l’avez compris, les leviers de motivation extrinsèques ont une efficacité limitée dans le temps. Utilisez-les donc avec parcimonie, pour maintenir l’engagement des utilisateurs aux moments clés de l’expérience. Si vous souhaitez motiver vos utilisateurs plus durablement, prenez en compte les besoins psychologiques innés qui les animent : autonomie, maîtrise et quête de sens. Permettre aux gens d’exprimer ces désirs fondamentaux via votre produit ou votre service est de loin, le meilleur moyen d’augmenter leur implication de façon pérenne et accessoirement, une excellente boussole pour orienter votre proposition de valeur dans la bonne direction.

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Julien Laureau
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Written by Julien Laureau

Head of Product Design @Indy, France.

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