5 biais cognitifs qui agissent sur notre perception des interfaces

Julien Laureau
7 min readApr 17, 2019

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Notre cerveau est légèrement paresseux. Ou pour le dire autrement, il cherche constamment à faire l’économie des raisonnements les plus coûteux sur le plan cognitif. Pourquoi emprunter un chemin escarpé lorsqu’on peut prendre un raccourci en pente douce ?
Cela nous conduit à généraliser à partir d’informations partielles, à évaluer les situations de manière superficielle et bien souvent, à nous tromper ! Ces déviations de la pensée logique par rapport au réel portent le nom de biais cognitifs.

Les biais cognitifs sont étudiés en psychologie, dans les neurosciences et très souvent exploités dans la publicité. Il en existe beaucoup, mais dans ce billet j’ai choisi de m’intéresser à cinq d’entre eux, car ils jouent un rôle important dans notre perception des interfaces.

1. L’Effet Ikea

Si vous avez déjà ressenti un petit pincement au cœur en vous séparant d’une vieille étagère que vous aviez monté vous-même, alors vous avez une petite idée de ce qu’est l’effet Ikea. Ce biais cognitif a été identifié dans une étude américaine de 2011. On pourrait le résumer ainsi :

”Les gens accordent une valeur disproportionnée aux produits qu’ils ont partiellement créés”.

Plus on alloue de temps et d’énergie à quelque chose et plus on se prend d’affection pour l’objet de notre labeur : le travail mène à l’amour !

En product design, l’effet Ikea est un levier de rétention important. Les clients les plus investis ont beaucoup plus de mal à quitter un service que les utilisateurs moins engagés. Exemple : à chaque fois qu’un utilisateur de Spotify ajoute un morceau à une playlist, il renforce les liens qui l’unissent à la plateforme.

Une playlist de plus = une chance de moins de résilier votre abonnement Spotify

Paradoxalement, demander un peu d’effort à l’utilisateur n’est donc pas une mauvaise chose, au contraire ! Il faut simplement veiller à deux choses :

  • Bien estimer la difficulté de la tâche pour ne pas qu’elle soit décourageante.
  • Fournir un retour d’information régulier sur son état d’accomplissement.

2. L’Effet de halo

L’effet de halo n’a rien à voir avec le jeu vidéo du même nom. Il s’agit d’un biais cognitif qui affecte notre perception des choses. C’est la tendance à se baser sur une caractéristique particulière pour en extraire un jugement général. Le système cognitif opère une sélection dans les informations entrantes pour les faire coïncider avec notre première impression.

L’effet de halo fonctionne dans les deux sens. Si l’on apprécie une caractéristique superficielle d’une personne, d’une marque ou d’un produit, on a alors tendance à avoir une prédisposition positive envers tous ses autres attributs. Et à l’inverse, une aversion envers l’un des ses aspects particuliers aura tendance à contaminer négativement notre jugement global.

Pour un site internet ou une application, cela signifie que les premiers écrans que rencontre l’utilisateur sont déterminants car ils influencent plus que les autres la perception générale du service. On n’a jamais de seconde chance de faire une première bonne impression !

L’esthétique des interfaces joue un rôle déterminant dans l’effet de halo. Une étude anglaise de 2004 a mis en lumière son poids dans notre évaluation des sites web. Les sites jugés visuellement séduisants étaient considérés par les participants comme plus dignes de confiance que les autres. Faites le test, entre ces deux services de réservation d’hébergement, lequel vous semble le plus fiable au premier regard ?

Airbnb et Gîtes de France, deux salles, deux ambiances…

3. Biais du statu Quo

Le biais du statu quo affecte la façon dont on se représente le changement. Nous avons tendance à percevoir toute nouveauté comme engendrant plus de risques que d’avantages. Conserver les choses en l’état nous semble donc souvent la meilleure option. Ce biais cognitif est étudié en psychologie économique, mais on peut l’observer dans bien d’autres domaines.

En tant que designers, cette résistance au changement doit nous interroger. On sait par exemple, que la majorité des gens préfère conserver les options par défaut plutôt que de prendre le risque de faire une erreur. Une étude menée sur des utilisateurs de Microsoft Word a démontré que seul 5% d’entre eux modifiaient les réglages de l’application, alors même que certaines fonctions utiles, comme la sauvegarde automatique étaient désactivées par défaut. Prévoir de bonnes options par défaut est donc un moyen d’améliorer l’expérience utilisateur à peu de frais.

Le conservatisme naturel des utilisateurs peut avoir des effets considérables. En novembre 2017, Snapchat a lancé une nouvelle version de son application avec un design remanié en profondeur. L’un des objectifs de cette refonte était de simplifier l’application. Contre toute attente, ces changements sans doute trop radicaux ont été mal accueillis par de nombreux utilisateurs attachés à l’ancienne interface.

Résultat : Snapchat aurait perdu 2% de ses utilisateurs quotidiens en quelques mois, un désastre. Cette mésaventure nous enseigne qu’en product design, il faut préférer les petits pas aux grands sauts dans le vide. Les gens aiment le statu quo…

Vous ne voyez pas la différence ? À gauche, 191 millions d’utilisateurs, à droite 188 millions.

4. Biais de complexité

Le biais de complexité repose sur la croyance que les choses compliquées sont préférables aux choses simples. Nous avons tendance à accorder plus de crédit aux solutions alambiquées, car nous associons la complexité à une forme de sophistication.

L’agence UXDA, spécialisée dans la recherche utilisateur pour le secteur de la Fintech a mené une étude intéressante de ce point vue. Ils cherchaient à définir le parcours de souscription idéal pour un service bancaire. Ils ont élaboré trois parcours différents allants du plus rapide et facile, au plus long et compliqué. L’immense majorité des participants à l’étude (88%) a estimé que le parcours le plus simple était le moins digne de confiance. À l’inverse, le parcours le plus tortueux a été perçu comme plus sûr : dans le secteur bancaire, un produit trop simple est suspect.

Le design de l’application bourse d’Apple joue clairement sur le biais de complexité pour instaurer un climat d’expertise. La disproportion entre la quantité d’informations et la taille de l’écran est un moyen de signifier à l’utilisateur qu’il consulte un produit complet, technique et fiable.

Vous ne comprenez rien à l’application bourse d’iOS ? C’est parfaitement normal.

5. L’effet Von Restorff

L’effet Von Restorff doit son nom à la psychiatre Edwig Von Restorff qui l’a mis en évidence en 1933. On le connaît également sous le nom “d’effet d’isolation”. C’est un biais cognitif qui agit sur la façon dont nous percevons et mémorisons les choses. On pourrait le résumer ainsi :

“Lorsque l’on est exposé à plusieurs objets similaires, on a tendance à mieux se remémorer celui qui diffère le plus des autres.”

Tout designer d’interface peut utilement exploiter ce biais cognitif en distinguant les informations et les actions importantes du reste du contenu. La taille, la forme, les couleurs ou l’espacement sont autant de paramètres dont on peut se servir pour augmenter la saillance d’un objet au sein d’une liste.

La page de présentation de l’offre tarifaire de Wix (plateforme de création de site web) se sert de l’effet d’isolation pour mettre en avant un de leurs forfaits, saurez-vous trouver lequel ?

Vous allez le prendre ce forfait Unlimited !

Pour aller plus loin

Les biais cognitifs sont comme des filtres déformants qui affectent inconsciemment la plupart de nos raisonnements et de nos décisions. Même en connaissant leur existence, il est très difficile de leur échapper. Ils sont l’expression de nos limites et il faut en tenir compte dans la conception des interfaces.

Si nous voulons qu’une information importante soit remarquée, tâchons de la rendre aussi distincte que possible. Veillons à soigner particulièrement le design et l’esthétique des premiers écrans auxquels les utilisateurs sont exposés, afin qu’ils aient une prédisposition positive envers notre produit. Nous pouvons même aller jusqu’à rallonger un peu certains parcours si notre cible attend des gages de sérieux et de sécurité !

Nous ne pouvons pas changer les gens, mais nous pouvons créer des interfaces un peu mieux adaptées aux êtres irrationnels et impulsifs que nous sommes.

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